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166 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Quand j’avais été bien docile, Mademoiselle de Gœcklin me faisait cadeau d’une image qu’elle sortait d’un petit manchon. L’image, en elle-même, eût pu me paraître ordinaire et j’en aurais presque fait fi ; mais elle était parfumée ; extraordinairement parfumée — sans doute en souvenir du manchon — je la regardais à peine ; je la humais ; puis la collais dans un album, à côté d’autres images que les grands magasins donnaient aux enfants de leur clientèle, mais qui, elles, ne sentaient rien. J’ai rouvert l’album dernièrement pour amuser un petit neveu : les images de Mademoiselle de Gœcklin embaument encore ; elles ont embaumé tout l’album.

Après que j’avais fait mes gammes, mes arpèges, un peu de solfège, et ressassé quelque morceau des " bonnes traditions du pianiste ", je cédais la place à ma mère. Je crois que c’est par modestie que maman ne jouait jamais seule ; mais à quatre mains, comme elle y allait ! C’était d’ordinaire quelque partie d’une symphonie de Haydn, et de préférence le finale qui, pensait-elle, comportait moins d’expression à cause du mouvement rapide, qu’elle précipitait encore en approchant de la fin ; elle comptait à haute voix d’un bout à l’autre du morceau.

Quand je fus un peu plus grand. Mademoiselle de Gœcklin ne vint plus ; j’allai prendre les leçons chez elle. C’était un tout petit appartement où elle vivait avec une sœur plus âgée, infirme ou un peu simple d’esprit, dont elle avait la charge. Dans la première pièce, qui devait servir de salle à manger, se trouvait une volière pleine de bengalis ; dans la seconde pièce le piano ; il avait des notes étonnamment fausses dans le registre supérieur, ce qui modérait mon désir de prendre la haute de préfé-