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194 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

gros, moins grand, moins libre, moins sublime, moins pathétique, moins sommaire, moins " génial '* qu'on n'a fait jusque-là ? Comment eût-il compris que c'est d'une révolution de ce genre que nous avons aujourd'hui avant tout besoin, et que cette révolution, le " réactionnaire " Proust vient justement en donner le signal ?

Je tâcherai quelque jour d'analyser en détail les raisons qui ont fait de notre xix® siècle une période de grave langueur pour toute la littérature psychologique. Je ne prends aujourd'hui que le fait qui me paraît incontestable. A partir de Stendhal, il se produit une dégradation conti- nue de notre faculté, pourtant si ancienne, si invétérée, de comprendre et de traduire le sentiment. Flaubert représente le moment où le mal devient sensible et alar- mant. Je ne veux pas dire que Madame Bovary et P Edu- cation Sentimentale n'impliquent aucune connaissance du cœur humain ; mais ni l'un ni l'autre ouvrage ne contient la moindre vue directe sur sa complexité; ni l'un ni l'autre ouvrage ne nous fait avancer en lui, ne nous en découvre de face de nouveaux aspects. Il y a chez l'auteur une certaine pesanteur de l'intelligence au regard de la sensi- bilité ; elle la suit mal ; elle ne la débrouille plus ; elle ne sait plus l'atteindre dans son caprice et dans sa nuance. De là, je crois, l'impression de piétinement que nous donnent ces livres, pourtant si fortement " en marche ", et dont le style, comme le remarquait si justement ici-même Marcel Proust, fait penser à un " trottoir roulant ".

Un stade plus avancé de la maladie dont a souffert au xix^ siècle notre sens psychologique peut être avanta- geusement étudié dans les premières œuvres de Barrés.

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