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226 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Des voix m'arrivaient, mais je ne distinguais pas les paroles parce que Tespace entre les bouches de ceux qui les prononçaient et moi les avait massées en un son brut ; j'entendais le grincement de la grue qui remplissait le vapeur en chargement, derrière la pointe de terre boisée qui coudait le fleuve ; deux grosses colonnes de fumée noire rendues solides par le bleu clair du ciel qui faisait fond, s'élevaient de la masse des cimes des arbres ; elles bougeaient à peine à leurs extrémités où un léger frotte- ment faisait voir toute la montée de cette fumée. La brusque voix -enrouée d'un phonographe, au loin, tout étouffée par l'espace, était entre elle et moi ; mais ainsi que les mots des humains je ne discernais pas ceux de la machine chantante ; je n'entendais que la voix tout d'une pièce et qui, comme un long écho affaibli, s'écra- sait contre le vide de la distance qui me séparait d'elle ; la lumière de ce vide était d'une clarté si blanche que je voyais de cette lumière l'immobilité dont elle était solidifiée.

Ce phonographe devait chanter dans l'un de ces innombrables petits cafés — " les zincs de Matadi ", disait Hilaire — du Bas-Matadi, le quartier dont les maisons à varangues de grosse et lourde paille étaient bâties entre la berge du Congo et la naissance de la noire colline des marchands.

Peut-être même était-ce celui du café Vito, où un phonographe immobile dans son coin reluisait de tout le cuivre jaune de son immense pavillon. En tous cas la voix me mettait au cerveau le brusque souvenir de ce lieu, puis, au cœur, le désir d'aller y somnoler en attendant le repas du soir. Car c'était au café Vito que je mangeais et écoulais de longues heures passées à bavarder avec le

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