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L ISOLEMENT 227

patron ou à fumer des cigarettes qui me faisaient prendre en patience le moment d'aller m'étendre sur mon lit de " La Lanterne '*.

Vito, homoncule aux jambes arquées en douve de tonneau, au visage barbu jusqu'aux pommettes si grises qu'elles étaient pareilles à de petits cubes de grés, au crâne très développé, était plongé, chaque fois que j'arri- vais, dans la lecture d'Henri de Régnier. Ses fesses calées par l'encoignure du dossier et du siège de paille d'une chaise maintenue en équilibre sur les deux pieds d'arrière, l'extrémité de ce dossier effleurant le bord de la grosse table occupée par la caisse en palissandre du phono- graphe, cet homme lorsque j'entrais lisait dans cette position et profondément absorbé.

Il y avait plusieurs minutes que mes semelles frottaient avec un bruit de papier de verre les planches poussiéreuses du parquet de la pièce lorsque Vito levait le nez vers moi. Mais je ne le sus passionné d'Henri de Régnier que lorsque je fus l'habitué de son café depuis deux jours.

J'arrivai le matin vers onze heures — du passage à niveau voisin de la gare au café Vito c'est une marche d'une demi-heure — j'atteignis ce passage à niveau à dix heures et demie. Je n'avais pas de montre mais je le sus bien, car j'avais le menton posé sur le rebord de la barrière de fonte et mes yeux tout attentifs au défilé du train de marchandises qui de Léopolville arrive à Matadi à dix heures et demie. La voie libre, je pris aussitôt la première rue à droite qui me conduisait au café Vito.

Les gonds de la porte grincèrent légèrement à la poussée de ma main. Vito lisait. Il lisait en dodelinant un peu la

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