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Page:NRF 14.djvu/238

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232 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Toute la matinée, les deux jours, une activité intense bourdonna de gestes sur le paquebot, le long de son flanc, et dans son ombre sur la berge. Des gens sortaient du navire, y rentraient ; d'autres, sur le pont, appuyés du ventre à la barre du garde-fou, penchaient leurs torses dans le vide en agitant leurs bras ; à l'extrémité de la potence une grue à vapeur décrivait des demi-cercles de la largeur de la fenêtre du café.

Ces silhouettes devant moi allaient, venaient, gesticu- laient, dans le silence du café ; je ne percevais aucun cri ; elles étaient toutes pareilles à d'énormes marionnettes. Puis midi sonnait au cartel de Vito ; sans doute le réveil, dans la cabine du commandant de ce vapeur, indiquait aussi midi, car tout l'équipage, massé sur le pont, s'éver- tuait à tendre de grosses toiles blanches de l'arrière à l'avant. Je sortais sur le seuil de Vito afin d'assister de loin à l'installation de ces tentes.

Bientôt le vapeur ressemblait à un énorme tortue qui aurait rentré sa tête sous la carapace : les deux cheminées étaient invisibles ; je n'apercevais que leurs deux orifices noirs ouverts à ras des tentes ; un mince filet de fumée s'étirait tout droit de chacun, et les toiles avaient la blancheur de la craie.

Inerte,le vapeur demeurait ainsi jusqu'au lendemain . Rien ne bougeait, personne ne vivait autour de lui ou sur lui...

Le matin où, sur les sept heures et demie, contre mon habitude qui était de m'évader de la chambrée vers dix heures et demie, je sortis de " La Lanterne " après une vigoureuse poignée de main échangée avec Ferrier, je terminais une nuit qui avait fait de cet homme " le mar- chand de mon sommeil " pour la cinquième fois.

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