Aller au contenu

Page:NRF 14.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pas à la " vulgariser " ; le succès l'a rendue *’ vulgaire " au sens noble du mot. Peut-être n’était-il permis d'y toucher que pour la revêtir d’une langue plus pure, plus solide, plus colorée, adéquate à l'original... Ce ne fut pas l’avis de M. de Bouhélier. " Adoptant une coupe différente, introduisant de nouveaux personnages, il s’attacha — dit le programme — à dépouiller le conte de ses éléments les plus spécifiquement grecs, pour lui donner une signification plus large, plus populaire, plus humaine. ". Ces derniers mots me font trembler. Il aura affaire à forte partie, car tel qu’il est et même tel qu’on le représente aux Français, Œdipe-Roi est large, humain et populaire. Voyons donc ce qu’on en a fait.

Le mythe reste indemne. C’est bien. Les malheurs du fils de Laïus vont se dérouler sans retouche, exactement dans l’ordre où, une fois pour toutes, les a fixés le génie grec : les grandes lignes sont de Sophocle. M. de Bouhélier ne pouvait échapper à cette logique souveraine, qui, de révélation en révélation, pousse le drame vers sa fin. Même construction — et pourtant moins solide ; même progression — moins entraînante cependant. Pourquoi cela ? Première erreur. La tragédie antique tirait sa vertu et son caractère d’un resserrement de l’action allant jusqu’à l’étouffement. Une invisible main se, refermait sur le héros et sur nous-mêmes. Ce sentiment d’étreinte continue et toujours plus étroite a disparu presque totalement. Le poète moderne a cru devoir mettre de l’air là où régnait justement l’asphyxie. Il a interrompu le cours inéluctable du destin par nombre d’agréments, qui sans ajouter à la pièce, lui retirent sa force, son poids, son mouvement. Se souvient-on comment Sophocle attaque son sujet ? Brutalement, par la voix d’Œdipe lui-même, qui déjà interroge les suppliants sur des malheurs dont il est lui-même la cause : on nous jette dedans, nous n’en sortirons plus. Que fait M. de Bouhélier ? Il nous emporte loin de Thèbes, le plus loin possible de son sujet, pour nous faire assister à la mort du vieillard Polybe, à