298 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Ajoutons que personne dans la pièce n'est dupe de cette dinde. Libre à Sacha Guitry de nous montrer des hommes de cœur aux prises avec de méchantes volailles. Mais quand paraît le second échantillon féminin, l'auteur semble cette fois perdre la tête et se laisser rouler d'une manière dont le public est confus pour lui. Qu'un père qui a consacré sa vie à l'éducation de son fils, lui fasse épouser, presque de force, un petit trottin dont la seule qualité est une certaine franchise naturelle ; que ce père si scrupuleux, à qui la maîtresse de son fils vient d'ofErir — dans les meilleures intentions du monde, je l'accorde — la virginité d'une cama- rade " décidée à mal tourner ", que ce père songe à faire de ce petit être illettré, cynique et déjà pot-au-feu la femme de son fils, voilà qu'il n'est pas facile d'encaisser ; voilà qui est conventionnel, d'une convention de théâtre, qui a pu être plaisante, hardie et même généreuse au temps de la Vie de Bohême ou de la Dame aux Camélias, mais qui paraît aujour- d'hui terriblement fanée et, pour tout dire, absurde. Plus le reste de la pièce est sincère, plus ce dénouement étonne et détonne.
Mais ne demandons pas tout en une fois.
JEAN SCHLUMBERGER
��LA VIE D'EDGAR A. POE, par André Fontainas (Mer- cure de France).
Edgar Poe, cas unique, aérolithe de l'Amérique, est entré chez nous avec la même figure d'exception étrange. Il n'y a pas d'écrivain qui ait été transplanté, racine dans une autre littérature avec une plénitude et un bonheur plus exceptionnels que lui. Grâce à Baudelaire et à Mallarmé il est devenu une sorte d'auteur bilingue, de conteur et de poète à deux versants. Le cas se comprendrait fort bien s'il s'agissait d'un écrivain qui ne fût pas styliste et qui ne perdît rien à la traduction, comme c'est le cas de l'auteur de Jean Christophe. Mais Poe, prodigieux favorisé de la fortune, trouve deux traducteurs de génie, d'un génie frère du sien, capables d'aller au fond de sa phrase pour
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