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Page:NRF 14.djvu/427

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SI LE GRAIN NE MEURT 421

ou du Jardin public, le regard, à travers les hauts mico- couliers du duché, rejoint, de l’autre côté de l’étroite vallée, une roche plus abrupte encore, déchiquetée, creusée de grottes, avec des arcs, des aiguilles, et des escarpements pareils à ceux des falaises ; puis, au-dessus, c’est la garrigue rousse, toute dévastée de soleil.

Marie, qui se plaignait sans cesse de ses cors, mon- trait peu d’enthousiasme pour les sentiers raboteux de la garrigue. Mais bientôt enfin ma mère me laissa sortir seul et je pus escalader tout mon soûl.

On traversait la rivière à la Fon di biaou (je ne sais point si j’écris correctement ce qui veut dire, dans la langue d’Aubanel et de Mistral : Fontaine aux bœufs), après avoir suivi quelque temps le bord de la roche, lisse et tout usée par les pas, puis descendu les degrés taillés dans la roche. Qu’il était beau de voir les lavan- dières y poser lentement leurs pieds nus, le soir, lors- qu’elles remontaient du travail toutes droites et la démarche comme anoblie par cette charge de linge blanc qu’elles portaient, à la manière antique, sur la tête. Et comme «fontaine d’Eure» était le nom de la rivière, je ne suis pas certain que de même ces mots « fon di biau » désignassent précisément une fontaine. Je revois un moulin, une métairie qu’ombrageaient d’immenses platanes ; entre l’eau libre et l’eau qui travaillait au moulin, une sorte d’îlot où s’ébattait la basse-cour ; et l’extrême pointe de cet îlot où je venais rêver ou lire, juché sur le tronc d’un vieux saule et caché par ses branches, surveillant les jeux aventureux des canards, délicieusement assourdi par le ronflement de la meule, le fracas de l’eau dans la roue, les mille chuchotis de la

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