Page:NRF 14.djvu/433

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 427

nant avoir assez faussement exprimé ma pensée : Flaubert n'est pas un écrivain de race. J'avais en écrivant ces mots peu heureux trois idées en tête : d'abord, la somme de travail qui demeure incorporée visi- blement au style de Flaubert, et que, par une singulière inversion, une opinion un peu naïve porte à son crédit au lieu de le mettre à son débit. Il sent l'huile, et la lampe nocturne de Croisset nous accompagne souvent dans notre lecture. Evidemment, il ne sent pas l'huile à la façon d'un Thomas, mais bien à la manière d'un Balzac (Guez) ou d'un Isocrate, ou, pour parler plus exactement, d'une manière intermédiaire entre celle d'fsocrate et celle de Thu- cydide. Et je ne dis pas que ce ne sort encore là une des premières places, mais cette place nous invite précisément à faire des compa- raisons, à rapprocher les réussites d'écrivains qui ont suivi la même route, à estimer que la Nouvelle Héloïse et les Mémoires d'Outre- Tombe l'emportent un peu sur VEducahon Sentimentale, bien que le style de json roman ait coûté à Rousseau autant de peine qu'en a coûté à Flaubert le style des siens : cette peine est moins visible sur l'ouvrage, voilà tout. — Je pensais en outre à certaines faiblesses de la langue de Flaubert, dissimulées «t assez rares, mais qui nous font pressentir que la langue chez lui est maîtrisée du dehors, par une persévérance et une probité continuelles, plutôt que du dedans, par un génie verbal incorporé à une sensibilité, ainsi que chez un Bos- suet ou un Voltaire, un Chateaubriand et un Victor-Hugo. — Je songeais enfin à cet écart si singulier qui existe entre les œuvres de jeunesse et Madame Bovary, à cette conversion au style purifié qui suit le voyage d'Orient. Je ne méconnais pas la principale valeur de la Tentation de 1849. Si Flaubert était mort durant son voyage et que ses amis eussent publié la Tentation qu'il venait d'achever, il tiendrait encore une place dans la littérature. Son livre aurait eu longtemps, aurait encore, des partisans enthousiastes, et tiendrait une place analogue à celle dî'Âxël (mon goût plaçant d'ailleurs Àxël assez fort au-dessus de l'œuvre de jeunesse de Flaubert) — et le dialogue du Sphinx et de la Chimère, l'épisode d'Apollonius eussent passé à bon droit pour des éclats de génie pleins de promesses chez un écrivain de vingt-huit ans. 11 n'en est pas moins vrai que de cet atelier dans un coin de musée à la forge de Madame Bovary le pas- sage est bien singulier. Ce que vous admirez le plus, dites-vous,

�� �