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Page:NRF 14.djvu/465

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NOTES 459

nous la rendre supportable, il y versa tous les trésors de son iné- puisable poésie, il y mêla des chants, des danses et ayant sous la main sans doute quelque clown excentrique, il créa pour notre joie, le personnage parasite, tout à fait inutile, tout à fait gratuit, du truand, tire-laine et colporteur Autolycus. Représentons-nous bien qu'il ne considérait pas l'œuvre dramatique comme une composition livresque, indépendante de la scène et de ses moyens ; il créait toutes ses pièces avec les acteurs dont il disposait ; Autolycus se trouvant là, il s'emparait d'Autolycus. En soi et pris à part, comme une pastorale heroï-comique, cet acte de « la tonte des moutons » est une merveille ; mais une merveille de poésie et de fantaisie, non de drame. En dépit d'une mise en scène étonnamment vivante et colorée, en dépit du couple adorable des jeunes gens amoureux, en dépit d'un Autolycus qui vaut certainement le mystérieux « fantai- siste » pour lequel Shakespeare écrivit le rôle — c'est jouvet — on a le sentiment que le drame n'avance plus ; et on craindrait qu'il ne s'arrêtât court, si on ne l'avait déjà lu. Nous avons changé de plan et de genre, de poésie et même de comique. Peut-être le grand dra- maturge si circonspect et raisonnable dans les trois premiers actes de son Conte Si-t-W un peu perdu le commandement de ses pensées; il est si doux, quand on a du génie, d'oublier un peu la raison et de laisser l'esprit souffler. On trouve assez souvent exemple de ces moments d'abandon dans Shakespeare. Qui sait ? nous entendrions Perdita chanter ses amours en anglais, que nous ne songerions peut- être plus à Léontès ? Mais patientons ! voici que les amants s'em- barquent, poursuivis par Polixénès qui fait obstacle à leur légitime union : voici Polixénès lui-même rejoint par le vieux berger qui ramassa l'enfant Perdita sur le rivage et qui tient les pièces d'iden- tité... Tout ce monde, plus Camillo, le fils du berger et Autolycus va nous ramener en Sicile.

Le dernier acte est magistral. Il donne sur un point raison à Shakespeare, quant à la gratuité du précédent, laquelle n'est peut- être après tout qu'un peu insistante. Si nous ne sortions pas de cette féerie bucolique, la vision sévère du vieux roi Léontès en deuil, amaigri par quinze ans de jeûne, ne nous frapperait pas si douloureusement. Comme Rembrandt, Shakespeare a l'art inné des oppositions, qu'il ne faut pas confondre avec le procédé de l'anti-

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