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Page:NRF 14.djvu/469

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NOTES 463

qu'elles nous dispensent se mêle je ne sais quelle hésitation de l'es- prit, quel tiraillement assez pénible des sens. Notre attention est comblée sans entente préalable, sans intimité suffisante entre ceux qui la sollicitent : aussi ne reçoit-elle que des satisfactions partielles et comme morcelées. Nous voici assez loin de ces pleines et harmo- nieuses réussites qui avaient nom : le Prince Igor, Petroucbha, le Sacre du Printemps. Il faut le dire franchement: le temps n'est plus où tous nos sens, où notre cœur lui-même, trouvaient d'emblée aux Ballets russes, rafraîchissement, délice et potion. Notre curiosité seule nous y attache encore et c'est seulement de la sentir en nous cares- sée que nous pouvons attendre désormais du plaisir.

La disparition de Nijinski se révèle d'une gravité que même la saison de 1914 ne pouvait encore faire prévoir. L'ingéniosité de Miassine. comme danseur et comme chorégraphe, ne fait qu'accuser ce qu'il y avait chez Nijinski de vrai génie. L'absence de ce dernier est comme visible ; on le sent, de tous les gestes et de tous les mou- vements qui nous sont offerts, comme retiré. C'est aujourd'hui sur- tout qu'il n'est plus là pour le répandre, qu'on peut se rendre compte de l'extraordinaire pouvoir de rayonnement qu'avait cet homme. Miassine, quand il danse, sa silhouette peut être charmante : mais rien jamais n'en émane; elle ne se détache pas de lui; elle ne se propage pas ; elle demeure stricte, adroite et mince. Avec Karsavina jamais il n'arrive à former ce couple enivré, auquel Nijinski savait si bien donner naissance. Il n'a pas, comme Nijinski, l'art de couver cette femme, de la faire éclore. Le jeune Bacchus n'est plus là, par qui coulaient jadis à pleins bords la fureur, l'extase et le baiser.

Non seulement cela. Mais l'invention chorégraphique de Miassine n'a rien de spontané; elle suit plus ou moins péniblement les traces frayées par Nijinski. Tout ce que Miassine imagine, comme pas et comme gesticulation, (en dehors de ce qu'il emprunte textuellement à la danse populaire) à sa source évidente dans le Sacre du Prin- temps : ces piétinements, cette manière de désigner le ciel d'un bras par dessus la tête, ces attitudes cassées, tout cela provient directe- ment et sans transposition véritable, du Sacre. Mais plus l'imitation est immédiate, plus l'abîme qui sépare la copie de l'original apparaît profond ; car on remarque mieux qu'elle manque de toute la néces- sité dont il était plein. A la chorégraphie empêchée et spasmodique du

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