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LE PARADIS DES CONDITIONS HUMAINES 547

« — ... n'en veulent pi...

«Je pense que, cet obus-là, je l'ai vu arriver. Notre pauvre ami s'est plié en deux comme une feuille de papier ; j'ai reçu à la figure un paquet de flammes et de cailloux ; la fumée m'a caché le reste ; mais je pense qu'au moment où il se pliait, il était déjà mort. Toute îa question est là. »

��Mon dernier souvenir de là-bas est celui, d'une pous- sière asphyxiante et de la clameur qui la remplit. Un grand choc m'en sépare. Il m'arrive en pleine poitrine et me vide de mon souffle. Tout se broyé en moi, sans souffrance, comme craque un os dans l'anesthésie. Mes jambes, ma vue s'anéantissent; mes sensations du monde se réduisent à un sifflement. Je coule à pic; mes plus anciens rêves n'étaient que des prévisions ; je tombe, je tombe en chute libre, avec un vertige déli- cieux, que rien ne menace, que rien n'arrêtera jamais.

A une grande hauteur au-dessus de moi fuient une tranchée lilliputienne et un petit entonnoir frais aux bords calcinés, où quelques nains anxieux se penchent, dans une fumée acre, sur des restes de capote sanguinolente. Il y a encore, là-haut, couvrant des lieues carrées, une poussière d'un bleu sale, pleine à ras bords d'une cla- meur qui s'affaiblit et s'évanouit. Ah, je savais bien que mourir serait délicieux !

Le sifflement paraît tout remplir; pourtant un bruit faible le traverse; on dirait un soupir poussé près de moi. Alors, aussi loin qu'atteint mon regard, — ce regard spirituel qui est devenu le mien, — je distingue d'autres

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