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NOTES 391

à la profondeur en chargeant leurs personnages d'un pesant fardeau de philosophie.

Voici un homme engagé dans un conflit, un homme tenaillé par une passion, accablé par le destin, il avance sur le théâtre et nous expose, en vingt copieuses répliques, les raisons du pessimisme Schopenhauerien. Eh bien, tant pis ! je n'écoute pas !

Voici un autre personnage, confident d'une grande douleur, con- templateur perspicace du drame auquel il participe. 11 descend devant la rampe et commence d'un air grave : « Dans la situation métaphysique imposée à l'homme par la chute originelle, il n'est pas surérogatoire d'attribuer à notre instinct la part de déséqui- libre... »

Ah ! non ! cent fois non ! en chaire le docteur! nous sommes, ici, devant des tréteaux. Nous voulons voir des créatures animées et non des pédagogues. Celui-ci, pour' légitimer ses actions, essaye un exposé laborieux du phénoménisme. Celui-là, pour expliquer ce qui se passe sur la scène, fait un véritable commentaire oratoire de l'Origine des Espèces. Cet autre enfin ne se permet pas d'être chari- table sans opposer les idées chrétiennes à la volonté de puissance. Au large ! au large, messieurs ! C'est au livre que sont réservés les exposés doctrinaires. Nous venons au théâtre pour connaître les hommes en proie à la passion et nous sommes assez grands garçons pour tirer nous-mêmes, de ce qu'on nous montrera, une leçon pro- fitable, s'il y a lieu.

Le curieux est que certain public plein de bonne volonté se laisse bénévolement abuser par cette sorte de fausse profondeur. Il écoute et n'est parfois pas trop mécontent de se découvrir capable d'atten- tion. S'il a suivi l'embrouillé raisonnement, il prend de lui-même une opinion avantageuse et voue quelque gratitude au dramaturge bavard et savant. Il ne sent pas très bien qu'il y a plus de vraie philosophie et d'authentique profondeur dans dix lignes de Darwin ou de Spencer que dans cent pompeuses répliques. Il sait gré au vulgarisateur de lui digérer à moitié quelque grosse vérité qu'il n'aurait pas pris peine d'aller chercher lui-même dans les livres. Ce luxe d'idées et de langage l'éblouit un peu et il tient le drama- turge quitte de la vérité humaine, seule importante cependant.

La seconde erreur est celle des écrivains égarés par les grands et

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