592 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
inimitables exemples d'Ibsen ou de Maeterlinck, celle des écrivains qui pensent parvenir à la profondeur en murmurant d'un air trou- blé des allusions lointaines aux « chevaux blancs » ou au « canard sauvage ». Ces écrivains entretiennent autour de leurs personnages une atmosphère factice de mystère et d'allégorie, ils pensent avoir touché le fond du cœur humain quand, à leur façon, ils voient, eux aussi, « une rose rouge dans les ténèbres », ou quand ils par- viennent à envelopper de longs silences un mot symbolique et confus qui fait tous les frais de l'ouvrage.
Je ne voudrais pas traiter légèrement des recherches honorables, à l'origine desquelles il y a souvent une intention tout à fait pure et un réel désir d'ait. Mais je me fais un devoir de signaler ce que je tiens pour erreur, après avoir tenté moi-même un certain nombre d'expériences.
Je vais, d'ailleurs, donner la contre-épreuve. Je prends un des tomes de Shakespeare, et je l'ouvre, un peu au hasard, à l'acte IV de Jules César, si vous le voulez bien. Je relis la scène sublime qui se déroule entre Brutus et Cassius, sous la tente de Brutus. Pen- dant toute la durée de cette scène, Shakespeare fait éclater à nos yeux maintes beautés et manifeste son génie sous les aspects les plus variés. Or, si nous essayons de noter les phrases essentielles, les répliques par lequel le dramaturge atteint à la plus grande profondeur, nous sommes ramenés à quelques mots très simples, qui n'ont par eux-mêmes ni lustre philosophique, ni splendeur poétique. Je cite, pour qu'on se reporte au texte :
Cassius : En sommes-nous arrivés là ?
Cassius : Vous ne m'aimez pas. Brutus : Je n'aime pas vos fautes.
Brutus : Portia est morte.
Cassius : Et vous ne m'avez pas tué quand je vous contrariais !
Cassius : O Portia, tu es morte.
Brutus : N'en parlons plus, je vous prie. Messala, j'ai reçu des lettres d'après lesquelles le jeune Octave...
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