6S2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
de la ligne ou l'hameçon se prenait, on en avait pour une heure, sans parler de l'effarouchement définitif du poisson.
Il y avait à La Roque un grand nombre de chambres d'amis " ; mais elles restaient toujours vides, et pour cause : mon père frayait peu avec la société de Rouen ; ses collègues de Paris avaient leur famille, leurs habitu- des... En fait d'hôtes, je ne me souviens que de Mon- sieur Dorval, qui vint à La Roque, pour la première fois je crois, cet été qui suivit mon renvoi de l'Ecole. 11 y revint encore une ou deux fois après la mort de mon père ; et je doute si ma mère n'estimait pas faire quel- que chose d'assez osé en continuant à le recevoir, une fois veuve, bien qu'à chaque fois pour un temps assez court. Rien n'était plus bourgeois que le milieu de ma famille, et Monsieur Dorval, pour n'être rien moins qu'un bohème, était tout de même un artiste ; c'est-à- dire qu'il n'était pas de notre monde du tout. Un musi- cien, un compositeur ; un ami d'autres musiciens plus célèbres, de Gounod par exemple, ou de Stephen Heller, qu'il allait voir à Paris. Car Monsieur Dorval habitait Rouen, où il tenait à Saint-Ouen les grandes orgues que venait de livrer Cavaillé-Coll. Très clérical, très religieux, et protégé par le clergé, il comptait des élèves dans les familles les meilleures et les mieux pensantes, la mienne en particulier, où il jouissait d'un, grand prestige sinon d'une parfaite considération. Il avait le profil dur et éner- gique, d'assez beaux traits, d'abondants cheveux noirs très bouclés, une barbe carrée, le regard rêveur ou sou- dain fougueux, la voix harmonieuse, onctueuse mais sans vraie douceur, le geste caressant mais dominateur.
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