s’agit des forts c’est un poison qui porte avec lui son antidote. La somme des échanges peut bien à l’origine, dans chaque instant, être nulle, mais c’est une nullité pure, lucide, une eau que rien ne vient troubler à sa source, le milieu le plus homogène où puissent, au fur et à mesure qu’elles s’y déposent, cristalliser sans déformation « les vérités que l’on s’est faites ». Si singulier que cela puisse paraître, ce nihilisme en face duquel tout autre, pris de vertige, eût perdu pied, a constitué pour Valéry le terrain d’attente le plus favorable : condamné par ses propres arrêts à l’isolement et au silence, l’esprit de Valéry a vécu sur lui-même à un degré qui n’a guère d’équivalent dans notre littérature ; non seulement il y a mûri, mais il a pris les formes arrêtées, les contours d’un solide, d’un objet, d’une « chose » pour employer une des expressions favorites de l’auteur ; pendant combien d’années martelé sur l’enclume de la forge, aujourd’hui c’est l’épée de Siegfried dont Valéry se fait blanc à tout coup. Tant il est vrai qu’on ne tranche pour de bon le nœud gordien qu’après l’avoir, au préalable, patiemment dénoué dans la solitude ; — ou selon les paroles mêmes de Valéry : « Il faut tant d’années pour que les vérités que l’on s’est faites deviennent notre chair même ! »
Mais quelles sont ces « vérités qui deviennent notre chair même » et que peut-il rester à qui se détache de la pensée en tant que pensée, à qui avoue que de la pensée seule l’intéresse la forme que l’on peut lui donner ? Il reste les relations ou les rapports, — et la question est de telle importance pour déterminer avec exactitude la position intellectuelle de Valéry qu’il y a lieu d’y insister.