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7^8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

visiter Venise, s'attarder à Rome. Titien, Véronèse et Rubens n'au- ront pas d'autre influence sur lui que de l'exciter à nouveau à regarder de plus près la nature. Il n'aura l'idée de s'inquiéter, à leur école, ni du style, ni de l'harmonie. Il se mettra en quête de certaines particularités que Rubens, Titien, Véronèse ont décou- vertes dans les choses et qu'ils exploitent librement. Il en reprendra l'étude à la source. Il veut mieux voix; il veut mieux rendre; je le répète, voilà tout. — Ainsi, jamais entre son œil et les objets, il n'interposera une esthétique. Il a assez à faire de perfectionner son outil. Parti de la copie exacte et littérale, il finira par savoir évo- quer, comme fait la nature, le maximum d'apparence et de vie avec le minimum de traits. En ce sens, aucun peintre n'aura poussé aussi loin dans son art la vertu de choix et c'est par là qu'il est artiste. Mais tout son choix se fait dans l'ordre du métier. Et en effet ce n'est pas ce qu'il voit, mais ce qu'il peint qui l'intéresse ; et en proportion de l'exactitude magique avec laquelle il le rendra tel qu'il le voit et le fera voir tel qu'il est. Tout ce qu'on peut voir, il le voit d'ailleurs, et il rend tout ce qu'on peut rendre. Regardons les Ménines et écoutons M. Bréal nous en parler.

« ..Nous savons qu'un tableau, dit-il, ne se doit pas regarder de trop près ; mais malgré ce que nous savons, nous demeurons con- fondus. Il semble qu'il n'y ait rien. L'œil de la jeune fille à genoux est une traînée bistre. Des sabrures bistres couvrent tout. Les doigts, les doigts de ces mains qui sont la vie même, sont des taches sans forme ne finissant pas, etc.. Ce chien est plus grossièrement peint qu'un décor, etc.. Reculons de quelques mètres : tout s'anime à nou- veau. Les traînées bistres sont des yeux qui regardent, les sabrures de bistre sont de petites mains légères : tous les personnages surpris dans l'attitude d'un moment et tournés vers le spectateur qui appelle leur attention sont à leur place, dans les profondeurs vivantes de cette toile extraordinaire. » Un vaste chef-d'œuvre enlevé de verve et réussi jusqu'au miracle. Il est bien vrai que le métier ne peut aller plus loin dans la représentation du monde extérieur. — Voilà essentiellement Vélazquez : un œil et une main ; «un œil merveil- leux, dit M. Bréal, ouvert dans un pays de lumière», une main sûre et prompte à obéir. Certes, je souhaiterais cet œil et cette main à un grand nombre de nos peintres. Mais est-ce là le tout de l'art ?

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