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vain, ne sera-t-elle pas de le recueillir, de l’inscrire à la place où il est venu, d’accepter sa valeur fortuite, de s’emparer de son témoignage sans s’inquiéter de l’aberration qu’il contient : « Lautréamont eut si nettement conscience de l’infidélité des moyens d’expression qu’il ne cessa de les traiter de haut : il ne leur passa rien, et, chaque fois qu’il était nécessaire, leur fit honte. Il rendit ainsi en quelque sorte leur trahison impossible. »

Les Dadas ne considèrent plus les mots que comme des accidents : ils les laissent se produire. Ils se comportent à leur égard comme des employés de chemin de fer qui se désintéresseraient des signaux.

Surtout que rien ne s’arrange ! Que rien jamais n’aille « se dénouer par l’artifice grammatical » ! Il faut laisser les phrases se construire toutes seules : elles auront toujours forcément un sens, quand ce ne serait que celui de l’esprit qui les profère. Elles formeront toujours quelque chose. On viendra voir après. Il y a des chances pour que ce produit naturel de la pensée ait plus de réalité que tout ce que la logique ou le goût nous eussent aidés à combiner.

Le langage pour les Dadas n’est plus un moyen : il est un être. Le scepticisme en matière de syntaxe se double ici d’une sorte de mysticisme. Même quand ils n’osent pas franchement l’avouer, les Dadas continuent de tendre à ce surréalisme, qui fut l’ambition d’Apollinaire. Ils pensent que l’esprit est avant tout un lieu de passage et qu’en le désencombrant avec soin, des choses — il est impossible de dire lesquelles — portées par des mots, doivent spontanément le traverser, qu’aucune