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48 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

que cela. Il n'est, je l'accorde, ni très profond ni très perspicace quand il décrit des natures exceptionnelles; un certain ronron moral enlève de la netteté à ses jugements. Mais avec quel soin il note les mobiles moyens des actions ; quelles précisions il fournit sur ce que fut la vie quotidienne ; quelle admirable image il trace de ce que l'Antiquité considéra comme l'honnête homme ! Voilà un renseignement qui m'intéresse plus qu'aucun autre, un magnifique repère pour apprécier le chemin parcouru par l'humanité, non dans ses idées, non dans tel de ses goûts, mais dans son affinement, dans sa culture, dans cette somme que représenterait, aux diverses époques, un citoyen d'élite, si l'on pouvait estimer en chiffres chacune de ses qualités. (Ne voyez- vous pas qu'aucun problème ne nous préoccupe davan- tage, depuis que la guerre nous a fourni des renseigne- ments si neufs sur nous-mêmes, sur notre héroïsme et notre barbarie, sur notre conception de l'honneur, notre désintéressement, notre crédulité ? Où en sommes-nous, j'entends sur quels points avons-nous changé par rapport aux époques où l'on s'est considéré comme à un sommet de la civilisation ?)

Eh bien, pour en revenir à Amyot, s'il a su nous représenter cet honnête homme antique d'une manière qui nous invite à tant de retours sur nous-mêmes, ne le doit-il pas en partie à une parfaite absence de couleur locale, à une élimination hardie du bibelot grec et latin, de l'érudition, et à une prise de possession non moins hardie de tout ce qui fait l'homme même ? Pour réussir si parfaitement, il ne suffit pas d'une bonne méthode ; il faut cette imagination qui redonne

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