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LETTRE A UN HISTORIEN 49

vie aux événements, qui ressuscite les morts. Mais à défaut de ce don, c'est déjà quelque chose que la méthode. « Je ne reconnais pas chez Aristote la plu- part de mes mouvements ordinaires, dit Montaigne ; on les a couverts et revêtus d'une autre robe pour l'usage de l'école. Si j'étais du métier, je naturaliserais l'art, autant comme ils artialisent la nature. »

On pourrait en dire autant des belles traductions faites au xvii* siècle. Celles-là non plus ne dépaysaient pas à plaisir le lecteur. « Belles infidèles » tant qu'on voudra ; mais si elles trahissaient c'était avec un amour dont on voudrait quelques traces sous la revêche fidé- lité de bien des traductions modernes. Aussi les œuvres antiques restaient-elles présentes, vivantes, verdoyantes ; et si la fumure française donnait à leurs fruits une saveur nouvelle, les branches continuaient du moins à porter une abondance de fruits nourrissants et beaux. Ainsi s'explique la supériorité donnée aux anciens : ils étaient les anciens et les modernes par-dessus le marché.

Je confesse avoir eu, vers vingt ans, un déplorable goût pour les traductions de Leconte de Lisle. Plus les phrases étaient chamarrées de syllabes grecques, plus je m'y délectais, confondant ce plaisir déplacé avec celui que me donnaient les merveilleux noms propres, les éclatants ornements de la Légende des Siècles. Je goûte toujours autant ces philtres magiques que Hugo a su composer avec l'écume sonore de l'histoire. Je me répète toujours avec le même plaisir les Sept Merveilles .du Monde, Zitn-Zi:yimi, et jusqu'aux énumérations du Détroit de l'Euripe. Hugo connaît, en experte sorcière^

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