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LETTRE A UN HISTORIEN 5I

vers, et que vous avez ri de ce « tihicines » qui ne saurait désigner une forme de flûte, mais tout au plus les joueuses de cet instrument. Qu'y faire ? J'en reste à mon plaisir. J'aime cette parenthèse romaine parmi la turquerie de Zim-Zi:^imi. Vous êtes bien parvenu à me gâter un peu ces « flûtes-flûtistes », pas assez pourtant pour m'en dégoûter tout à fait.

Vous allez m'accuser de contradiction parce que j'aime chez Hugo ce don d'ivresse et de dépaysement que je n'accepte pas dans une traduction de Sophocle et encore moins dans un livre d'histoire. L'apparence d'illo- gisme tient à ce qiie vous ne faîtes pas, me semble-t-il, une distinction suffisante entre le poète simple excitateur de l'imagination et le poète recréateur de l'homme, divi- nateur de son âme. (Le même poète se manifeste par- fois dans ces deux rôles, mais guère simultanément ; aussi n'est-il pas, je crois, arbitraire d'opposer l'une à l'autre ces deux formes d'inspiration.) Je n'attends de Hugo aucune révélation ni sur moi-même ni sur les autres. Il est bien incapable de projeter dans aucun recoin de notre cœur un jet de lumière inattendu. Il ne saurait être nourriture ; laissez-le être Champagne. Mais ne champagnisez pas ce qui n'est pas destiné à nous étourdir. Laissez-nous approcher Œdipe et Anti- gone avec l'esprit le plus lucide ; et surtout lorsque vous faites métier d'historiens, n'interposez entre les hommes et nous aucun mirage. Vous avez le droit d'être poètes, mais seulement de ceux qui devinent la réalité cachée, jamais de ceux qui nous aident à la fuir. C'est pour avoir voulu, à votre manière, imiter les seconds que vous êtes tombés dans cet abus de la couleur et du

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