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54 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

peu trop de passion — c'est une certaine idée de la différenciation des époques, qui traduite en langage pri- maire est devenue l'idée d'un progrès à tout prix. Vous n'en êtes qu'à demi responsables, beaucoup d'entre vous ayant plutôt manqué de mesure dans une admiration un peu puérile du passé ; mais en laissant l'épisodique l'emporter sur l'essentiel, vous avez facilité ce glisse- ment. Qui dit étrange dit étranger ; qui dit étranger dit barbare. Un peuple dont les vêtements, la nourri- ture, les objets usuels portent des noms si saugrenus, comment se figurer qu'il trouvait le même goût que nous à l'air, aux aliments ; qu'il connaissait chaque nuance de sensations qu'un corps humain peut éprou- ver et à peu près chaque nuance de sentiments. Ainsi vous avez soutenu, plus que vous ne vous l'imaginez, cette vague foi dans une évolution nécessairement ascendante, qui aurait précipité depuis cent ans son mouvement triomphal. Dans l'enseignement historique qu'on" nous a donné, pas un aperçu qui n'ait été teinté de ce médiocre optimisme; si bien que beaucoup d'entre nous, même de ceux qui n'ont jamais donné dans cette religion ou qui l'ont abjurée, n'en continuent pas moins à envisager le passé tel qu'un enseignement ten- dancieux le leur a présenté. Ils ont redressé leur esprit mais non rappris l'histoire.

Si vous le voulez bien, nous parlerons une autre fois de la façon dont la guerre a bousculé quelques-uns des axiomes où nos jugements prennent source. Le seul point qui importe ici, c'est une certaine humiliation de la superbe et de la raison raisonnante ; par suite, un besoin de chercher des normes ailleurs que dans notre

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