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834 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

je ne Tai plus revu ; il était de santé délicate et ne pou- vait vivre à Paris. (J'ai récemment appris qu'il avait fait, depuis, une brillante carrière dans la banque.)

Je n'étais que depuis peu de temps rue Raynouard lorsqu'y vint habiter le second frère, Abel, qui n'avait que cinq ans de plus que moi. Il vivait précédemment à Guéret, chez une sœur dont je connaissais l'existence parce que, l'été passé, Edmond Richard avait parlé d'elle à ma mère ; c'est-à-dire que, répondant aux interroga- tions de ma mère qui, le soir de son arrivée à La Roque, s'informait affablement de ses proches, comme elle lui demandait :

— Vous n'avez pas de soeurs, n'est-ce pas ? •

— Si, Madame, avait-il dit. Puis, en homme bien élevé trouvant son monosyllabe un peu bref, il ajoutait d'une voix douce :

— J'ai une sœur, qui vit à Guéret.

— Tiens ! faisait maman ; à Guéret... Et que fait- elle ?

— Elle est pâtissière.

Ce colloque avait lieu pendant le dîner; mes cousines étaient là ; nous étions suspendus aux lèvres du nouveau précepteur, cet inconnu qui venait partager notre vie et qui, pour peu qu'il se montrât prétentieux, niais ou grincheux, allait nous gâter nos vacances.

Edmond Richard nous paraissait charmant, mais nous guettions ses premiers propos sur lesquels notre juge- ment collectif allait s'asseoir, ce jugement si implacable, si irrévocable, que sont disposés à porter ceux qui ne connaissent rien de la vie. Nous n'étions pas moqueurs et c'est un rire sans méchanceté, mais un fou rire incoer-

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