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SI LE GRAIN NE MEURT... 835

cible, qui s'empara de nous à ces mots : Elle est pâtis- sière — qu'Edmond Richard avait'dit pourtant bien sim- plement, droitement, et courageusement si tant est qu'il ait pu pressentir ces rires. Nous les étouffâmes de notre mieux, sentant bien à quel point ils étaient indécents et cruels ; la pensée qu'il a pu les entendre me rend ce souvenir très douloureux.

Abel Richard était sinon simple d'esprit, du moins sensiblement moins ouvert que ses deux aînés ; et c'est pourquoi son instruction avait été très négligée. Grand garçon d'aspect flasque, au regard tendre, à la main molle, à la voix plaintive, il- était serviable, empressé même, mais pas très adroit, de sorte que, pour prix de ses soins, il recevait moins de remerciements que de rebuffades. Bien qu'il tournât sans cesse autour de moi, nous ne causions pas beaucoup ensemble ; je ne trouvais rien à lui dire, et lui semblait tout essoufflé dès qu'il avait sorti trois phrases. Un soir d'été, un de ces beaux soirs chauds où vient se reposer dans l'adoration toute la peine de la journée, nous prolongions la veillée sur la terrasse. Abel s'approcha de moi selon son habitude et, comme à l'ordinaire, je feignais de ne pas le voir ; j'étais assis un peu à l'écart, sur une escarpolette où durant le jour se balançaient les enfants de M. Richard ; mais ils étaient couchés depuis longtemps. Du bout du pied je maintenais immobile la balançoire, et, sentant Abel tout près de moi maintenant, immobile lui aussi, appuyé contre un montant de la balançoire à laquelle sans le vouloir il imprimait un léger tremblement, je res- tais la face détournée, les regards fixés vers la ville où les feux répondaient aux étoiles du ciel. Nous demeurions

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