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SOUVENIRS SUR TOLSTOÏ 875

que chose de simple et de naturel, et perdent la grossièreté et l'obscénité qu'elles ont dans la bouche du troupier. Je me souviens de ce qu'il dit la première fois où je le ren- contrai, sur « Varienka Oliessova » et sur ma nouvelle inti- tulée « Vingt-six et une ». Si on se place au point de vue conventionnel, ce qu'il dit alors n'était qu'un tissu de mots indécents. J'en fus tout embarrassé et même offensé. J'eus l'impression qu'il me considérait comme incapable de com- prendre toute autre espèce de langage. Maintenant je vois les choses tout autrement : il ^tait stupide de ma part de m'en être offensé.

��XXI

��11 était assis sur le banc de pierre à l'ombre des cyprès. Sa silhouette paraissait très mince, petite et grise, et pour- tant elle faisait penser au Dieu des Juifs, à un Jehovah qui, un peu fatigué, s€ délasserait en s'essaj-anl à siffler en me- sure avec un pinson. L'oiseau chantait dans la pénoml)rc de l'épais feuillage : Léon Nicolaïevitch le cherchait d-es yeux en fronçant les sourcils et, faisant une moue comme un enfant, il sifflait maladroitement.

— Elle a le diable au corps cette petite créature-là, elle est enragée. Quel oiseau cela peut-il bien être ?

Je lui parlai du pinson et de la jalousie qui le carac- térise.

« Toute sa vie, dit-il, il ne chante qu'une chanson, et avec cela il est jaloux ! L'homme a un millier de chants dans le coeur et cependant on lui en veut d'être jaloux. » 11 parlait d'un air rêveur et comme s'il s'interrogeait lui-même. « Il y a des moments où un liomn>e en parlant de lui-même dit à une femme plus qu'il ne faudrait. Il parle, et puis il oublie, mais elle se souvient. La jalousie ne viendrait-elle pas de la peur de dégrader son âme, ou d'être humilié et rendu

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