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902 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

vers VOUS de ce pas court, léger et rapide, qui est celui de l'homme habitué aux longues marches. Les pouces passés dans la ceinture, il s'arrêtait alors un instant, jetant un bref regard circulaire, qui embrassait tout, un regard qui enre- gistrait aussitôt ce qu'il pouvait y voir de neuf, et absorbait sur l'heure la signification de toutes choses.

— Comment allez-vous ?

Je me suis toujours traduit ces mots ainsi : « Comment allez-vous ? Cela me fait plaisir et pour vous cela ne signifie pas grand'chose. Mais cependant comment allez-vous? »

Il apparaissait, et il avait l'air plutôt petit, et immédiate- ment tout le monde autour de lui devenait plus petit que lui-même. Une barbe de paysan, des mains rudes, mais extraordinaires, des vêtements simples, tout cet appareil démocratique confortable trompait beaucoup de gens, et j'ai souvent vu de ces Russes, qui jugent les gens d'après l'habit, — une vieille habitude serve — commencer à déverser en sa présence les flots de leur odieuse « franchise », ou de ce qu'il vaudrait mieux appeler leur « familiarité de porchers ».

— Ah ! vous êtes l'un des nôtres : voilà ce que vous êtes. Me voilà enfin, par la grâce de Dieu, face à face avec le plus grand des fils de notre terre natale. Salut ! Je m'incline bien bas devant vous.

Ceci est un spécimen des propos d'un Russe moscovite, et le cœur sur la main. Et en voici un autre, mais cette fois d'un libre-penseur :

— Léon Nicolaïevitch, bien que je ne partage pas vos opi- nions en matière de religion ou de philosophie, je respecte profondément en votre personne le plus grand des artistes.

Et soudain, sous la barbe du paysan, et sous la blouse froissée du démocrate, se dressait le vieux barine russe, le grand aristocrate : alors, le visiteur au cœur simple, l'homme éduqué et tous les autres sentaient aussitôt leur nez bleuir, comme sous l'action d'un froid intolérable. C'était plaisir que

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