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son Dieu dans la création de Dieu et qui, sans le savoir, nourrit de foi chrétienne son paganisme délirant. Voici Charles Baudelaire qui sait où est la vérité, qui la reconnaît, la salue, mais éprouve un amer plaisir à lui dire : Non, et à suivre l’erreur. On se souvient de la Préface d’André Gide à la réédition des Fleurs du Mal. Dans le même sens, M. Mauriac écrit excellemment : « Les fautes de Baudelaire ne l’exclueraient du catholicisme que si elles n’étaient pas des péchés. S’il avait pu les commettre sans devenir pécheur, alors il ne serait pas des nôtres. Chez Baudelaire, toute erreur devient péché, il la confesse comme un péché. A ce signe, je reconnais mon frère ». Et M. Mauriac ajoute : « Un homme d’une vie plus nette, plus pure, Taine par exemple, n’est pas de notre famille spirituelle. Ce misérable Baudelaire est bien à nous ». Comme Baudelaire catholique aimait son péché, voici maintenant Frédéric Amiel, protestant qui aima sa « soif » ; Baudelaire mourut pardonné et pacifié ; Amiel sans l’avoir étanchée. Une étude sur Stendhal termine le recueil ; l’aventurier à bon marché delà Chartreuse qui finit obscurément en « vieux galantin obèse » à Civita-Vecchia, est confronté avec les (( revenants de la tranchée » qui ont appris eux aussi à agir, mais autrement et plus fécondément que Beyle. Par un curieux détour, Mauriac nous montre que son jeune héros « s’en tient toujours au principe essentiel du beylisme : appliquer une bonne logique dans l’organisation de sa vie pour le bonheur. Mais garçon positif et qui ne néglige aucun fait, comment organiser son bonheur sans tenir aucun compte d’abord de ces réalités, de cette réalité : la douleur, la mort ? » Notre jeune homme y songe, et c’est par là que rentre l’inquiétude qu’a refusée Stendhal et dont il demeure appauvri ; car en regard de la sécurité et de la sécheresse passionnées du romancier matérialiste, l’inquiétude devient sans prix. Ainsi, pensant « par oppositions », M. Mauriac nous promène de Lacordaire à Stendhal et nous pouvons juger de la diversité pathétique qui est en lui d’après les nuances de son examen et les contradictions de sa sympathie.

HENRI GHÉON