— Je n’ai pas de mal, je me plains parce que je suis mal couchée, je me sens les cheveux en désordre, j’ai mal au cœur, je me suis cognée contre le mur.
Et ma mère, au pied du lit, rivée à cette souffrance comme si, à force de percer de son regard ce front douloureux, ce corps qui recelait le mal, elle eût dû finir par l’atteindre et l’emporter, ma mère disait :
— Non, ma petite maman, nous ne te laisserons pas souffrir comme ça, c’est ta fille qui te le dit, on va trouver quelque chose, prends patience une seconde, me permets-tu de t’embrasser sans que tu aies à bouger ?
Et penchée sur le lit, les jambes fléchissantes, à demi agenouillée, comme si, à force d’humilité, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionné d’elle-même, elle inclinait vers ma grand’mère toute sa vie dans son visage comme dans un ciboire qu’elle lui tendait, décoré en reliefs de fossettes et de plissements si passionnés, si désolés et si doux qu’on ne savait pas s’ils y étaient creusés par le ciseau d’un baiser, d’un sanglot ou d’un sourire. Ma grand’mère essayait, elle aussi, de tendre vers maman son visage. Il avait tellement changé que sans doute si elle eût eu la force de sortir, on ne l’eût reconnue qu’à la plume de son chapeau. Ses traits comme dans un travail de sculpture semblaient s’appliquer, dans un effort qui la détournait de tout le reste, à se conformer à certain modèle que nous ne connaissions pas. Ce travail du statuaire touchait à sa fin et si la figure de ma grand’mère avait diminué, elle avait également durci. Les veines qui la traversaient semblaient celles non pas d’un marbre mais d’une pierre plus rugueuse. Toujours penchée en avant par la difficulté de respirer, en même temps que repliée sur elle-même par la fatigue, sa figure fruste, réduite, atrocement expressive, semblait, dans une sculpture primitive, presque préhistorique, la figure rude, violâtre, rousse, désespérée, de quelque sauvage gardienne de tombeau. Mais toute l’œuvre n’était pas accomplie. Ensuite, il faudrait la briser, et puis,