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Page:NRF 16.djvu/20

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des nouvelles, nous révélaient la gravité d’un mal que jusque-là nous n’avions pas assez isolé, séparé des mille impressions douloureuses ressenties auprès de ma grand’mère. Prévenues par dépêche, ses sœurs ne quittèrent pas Combray. Elles avaient découvert un artiste qui leur donnait des séances d’excellente musique de chambre dans l’audition de laquelle elles pensaient trouver, mieux qu’au chevet de la malade, un recueillement, une élévation douloureuse, desquels la forme ne laissa pas de paraître insolite. Madame Sazerat écrivit à maman, mais comme une personne dont les fiançailles brusquement rompues (la rupture était le dreyfusisme) nous avaient à jamais séparés.

Le sixième jour, maman, pour obéir aux prières de grand’mère, dut la quitter un moment et faire semblant d’aller se reposer. J’aurais voulu que Françoise restât un instant sans bouger pour que ma grand’mère s’endormît. Malgré mes supplications, Françoise sortit de la chambre ; elle aimait ma grand’mère, avec sa clairvoyance et son pessimisme elle l’avait condamnée. Elle aurait donc voulu lui donner tous les soins possibles. Mais on venait de dire qu’il y avait un ouvrier électricien, beau-frère de son patron, estimé dans notre immeuble où il venait travailler depuis de longues années, et surtout de Jupien. On avait commandé cet ouvrier avant que ma grand’mère tombât malade. Il me semblait qu’on eût pu le faire repartir ou le laisser attendre. Mais le protocole de Françoise ne le permettait pas, elle aurait manqué de délicatesse envers ce brave homme, l’état de ma grand’mère ne comptait plus. Quand au bout d’un quart d’heure, exaspéré, j’allai la chercher à la cuisine, je la trouvai causant avec lui sur le « carré » de l’escalier de service, dont la porte était ouverte, procédé qui avait l’avantage de permettre, si l’un de nous arrivait, de faire semblant qu’on allait se quitter mais qui envoyait d’affreux courants d’air. Françoise quitta donc l’ouvrier non sans lui avoir encore crié quelques compliments qu’elle avait oubliés pour sa femme et son beau-