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Page:NRF 16.djvu/22

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encore elle en était humiliée. Elle avait dans le Midi des cousins, riches relativement — dont la fille, tombée malade en pleine adolescence, était morte à vingt-trois ans. Pendant ces quelques années, le père et la mère s’étaient ruinés en remèdes, en docteurs différents, en pérégrinations d’une « station » thermale à une autre, jusqu’au décès. Or cela paraissait à Françoise, pour ces parents-là, une espèce de luxe, comme s’ils avaient eu des chevaux de courses, un château. Eux-mêmes, si affligés qu’ils fussent, tiraient une certaine vanité de tant de dépenses. Ils n’avaient plus rien, ni surtout le bien le plus précieux, leur enfant, mais ils aimaient à répéter qu’ils avaient fait pour elle autant et plus que les gens les plus riches. Les rayons ultra-violets, à l’action desquels on avait plusieurs fois par jour, pendant des mois, soumis la malheureuse, les flattaient particulièrement. Le père enorgueilli dans sa douleur par une espèce de gloire, en arrivait quelquefois à parler de sa fille comme d’une étoile de l’Opéra pour laquelle il se fût ruiné. Françoise n’était pas insensible à tant de mise en scène. Celle qui entourait la maladie de ma grand’mère lui semblait un peu pauvre, bonne à une maladie sur un petit théâtre de province.

Il y eut un moment où les troubles de l’urémie se portèrent sur les yeux de ma grand’mère. Pendant quelques jours elle ne vit plus du tout. Ses yeux n’étaient nullement ceux d’une aveugle et restaient les mêmes. Et je compris seulement qu’elle ne voyait pas à l’étrangeté d’un certain sourire d’accueil qu’elle avait dès qu’on ouvrait la porte jusqu’à ce qu’on lui eût pris la main pour lui dire bonjour, sourire qui commençait trop tôt, et restait stéréotypé sur ses lèvres, fixe, mais toujours de face et tâchant à être vu de partout, parce qu’il n’y avait plus l’aide du regard pour le régler, lui indiquer le moment, la direction, le mettre au point, le faire varier au fur et à mesure du changement de place ou d’expression de la personne qui venait d’entrer ; qu’il restait seul, sans sourire des yeux qui eût détourné un