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Page:NRF 16.djvu/286

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28o LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

nions pas d*être en nous : le musicien devient stratège, le pilote se sent médecin ; et celui dont la vertu se mirait et se respectait elle-même, se découvre un Cacus caché, et une âme de voleur.

Phèdre. — Il est bien vrai que certains âges de l'homme sont comme des croisements de routes.

SocRATE. — L'adolescence est singulièrement située au milieu des chemins... Un jour de mes beaux jours, mon cher Phèdre, j'ai connu une étrange hésitation entre mes âmes. Le hasard, dans mes mains, vint placer l'objet du monde le plus ambigu. Et les rériexions infinies qu'il me fit faire, pouvaient aussi bien me conduire à ce philosophe que je fus, qu'à l'artiste que je n'ai pas été...

Phèdre. — C'est un objet qui t'a sollicité si diver- sement ?

SocRATE. — Oui. Un pauvre objet, une certaine chose que j'ai trouvée, en me promenant... Elle fut l'origine d'une pensée qui se divisait d'elle-même entre le construire et le connaître.

Phèdre. — Merveilleux objet ! Objet comparable à ce coffret de Pandore où tous les biens et tous les maux étaient ensemble contenus !.. Fais-moi voir cet objet, comme le grand Homère nous fait admirer le bouclier du fils de Pelée !

Socrate. — Tu penses bien qu'il est indescriptible... Son importance est inséparable de l'embarras qu'il me causa.

Phèdre. — Explique-toi plus abondamment.

Socrate. — Eh bien, Phèdre, voici ce qu'il en fut : je marchais sur le bord même de la mer, je suivais une plage sans fin... Ce n'est pas un rêve que je te raconte. J'allais je ne sais où, trop plein de vie, à demi enivré par ma jeunesse. L'air, délicieusement rude et pur, pesant sur mon visage et sur mes membres, m'opposait un héros impal- pable qu'il fallait vaincre pour avancer. Et cette résistance toujours repoussée faisait de moi-même, à chaque pas, un héros imaginaire, victorieux du vent, et riche de forces

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