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Page:NRF 16.djvu/31

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qu’elle ne semblait le croire. Si faiblement traduit, son chagrin n’en était pas moins très grand, aggravé d’ailleurs par l’ennui que sa fille, retenue à Combray (que la jeune Parisienne appelait maintenant la cambrousse et où elle se sentait devenir « pétrousse »), ne pût vraisemblablement revenir pour la cérémonie mortuaire que Françoise sentait devoir être quelque chose de superbe. Sachant que nous nous épanchions peu, elle avait à tout hasard convoqué d’avance Jupien pour tous les soirs de la semaine. Elle savait qu’il ne serait pas libre à l’heure de l’enterrement. Elle voulait du moins, au retour, le lui « raconter ».

Depuis plusieurs nuits mon père, mon grand-père, un de nos cousins veillaient et ne sortaient plus de la maison. Leur dévouement continu finissait par prendre un masque d’indifférence et l’interminable oisiveté autour de cette agonie leur faisait tenir ces mêmes propos qui sont inséparables d’un séjour prolongé dans un wagon de chemin de fer. D’ailleurs ce cousin (le neveu de ma grand’tante) excitait chez moi autant d’antipathie qu’il méritait et obtenait généralement d’estime.

On le « trouvait » toujours dans les circonstances graves, et il était si assidu auprès des mourants, que les familles, prétendant qu’il était délicat de santé, malgré son apparence robuste, sa voix de basse-taille et sa barbe de sapeur, le conjuraient toujours avec les périphrases d’usage de ne pas venir à l’enterrement. Je savais d’avance que maman qui pensait aux autres au milieu de la plus immense douleur lui dirait sous une tout autre forme ce qu’il avait l’habitude de s’entendre toujours dire :

— Promettez-moi que vous ne viendrez pas « demain ». Faites-le pour « elle ». Au moins n’allez pas « là-bas ». Elle vous aurait demandé de ne pas venir.

Rien n’y faisait ; il était toujours le premier à la « maison » à cause de quoi on lui avait donné, dans un autre milieu, le surnom que nous ignorions de « ni fleurs ni couronnes ». Et avant d’aller à « tout », il avait toujours « pensé à tout »,