ce qui lui valait ces mots : « Vous, on ne vous dit pas merci ».
— Quoi ? demanda d’une voix forte mon grand-père qui était devenu un peu sourd et qui n’avait pas entendu quelque chose que mon cousin venait de dire à mon père.
— Rien, répondit le cousin. Je disais seulement que j’avais reçu ce matin une lettre de Combray où il fait un temps épouvantable et ici un soleil trop chaud.
— Et pourtant le baromètre est très bas, dit mon père.
— Où ça dites-vous qu’il l’ait mauvais temps ? demanda mon grand-père.
— À Combray.
— Ah ! cela ne m’étonne pas, chaque fois qu’il fait mauvais ici, il fait beau à Combray et vice versa. Ah ! mon Dieu : vous parlez de Combray : a-t-on pensé à prévenir Legrandin ?
— Oui, ne vous tourmentez pas, c’est fait, dit mon cousin dont les joues bronzées par une barbe trop forte sourirent imperceptiblement, de la satisfaction d’y avoir pensé.
À ce moment, mon père se précipita, je crus qu’il y avait du mieux ou du pire. C’était seulement le docteur Dieulafoy qui venait d’arriver. Mon père alla le recevoir dans le salon voisin, comme l’acteur qui doit venir jouer. On l’avait fait demander non pour soigner mais pour constater, comme une sorte de notaire. Le docteur Dieulafoy a pu en effet être un grand médecin, un professeur merveilleux ; à ces rôles divers où il excella, il en joignait un autre dans lequel il fut pendant quarante ans sans rival, un rôle aussi original que le raisonneur, le scaramouche ou le père noble, et qui était de venir constater l’agonie ou la mort. Son nom déjà présageait la dignité avec laquelle il tiendrait l’emploi et quand la servante disait : M. Dieulafoy, on se croyait chez Molière. À la dignité de l’attitude concourait sans se laisser voir la souplesse d’une taille charmante. Un visage en soi-même trop beau était amorti par la convenance à des circonstances douloureuses. Dans sa noble redingote noire, le professeur