phase interrompue. Et celle-ci reprenait à un autre diapason, avec le même élan inépuisable. Qui sait si, sans même que ma grand’mère en eût conscience, tant d’états heureux et tendres comprimés par la souffrance ne s’échappaient pas d’elle maintenant comme ces gaz plus légers qu’on refoula longtemps. On aurait dit que tout ce qu’elle avait à nous dire s’épanchait, que c’était à nous qu’elle s’adressait avec cette prolixité, cet empressement, cette effusion. Wagner qui a fait entrer dans sa musique tant de rythmes de la nature et de la vie, depuis le reflux de la mer jusqu’au martèlement du cordonnier, des coups du forgeron au chant de l’oiseau, on peut croire, s’il a jamais assisté à une telle mort, qu’il en a dégagé pour les éterniser dans la mort d’Yseult les inexhaustibles ressassements. Au pied du lit, convulsée par tous les souffles de cette agonie, ne pleurant pas mais par moments trempée de larmes, ma mère avait la désolation sans pensée d’un feuillage que cingle la pluie et retourne le vent. On me fit m’essuyer les yeux avant que j’allasse embrasser ma grand’mère.
— Mais je croyais qu’elle ne voyait plus, dit mon père.
— On ne peut jamais savoir, répondit le docteur.
Quand mes lèvres la touchèrent, les mains de ma grand’mère s’agitèrent, elle fut parcourue tout entière d’un long frisson, soit réflexe, soit que certaines tendresses aient leur hyperesthésie qui reconnaît à travers le voile de l’inconscience ce qu’elles n’ont presque pas besoin des sens pour chérir. Tout d’un coup ma grand’mère se dressa à demi, fit un effort violent, comme quelqu’un qui défend sa vie. Françoise ne put résister à cette vue et éclata en sanglots. Me rappelant ce que le médecin avait dit, je voulus la faire sortir de la chambre. À ce moment, ma grand’mère ouvrit les yeux. Je me précipitai sur Françoise pour cacher ses pleurs, pendant que mes parents parleraient à la malade. Le bruit de l’oxygène s’était tu, le médecin s’éloigna du lit. Ma grand’mère était morte.
Quelques heures plus tard, Françoise put une dernière