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RÉFLEXIONS SUR LA LIITERATURE 345

du continu. Et du mathématicien au sociologue, de l'artiste à l'homme politique, les cerveaux sont aujourd'hui de mieux en mieux armés pour apercevoir les choses sous cet aspect de con- tinuité et de mutation insensibles qui nous apparaît de plus en plus comme le secret même de leur réalité. De ce point de vue l'argument du chauve s'effondre comme ceux de Zenon. Les problèmes de continuité sont précisément ceux qui nous atti- rent le plus, et qui nous paraissent, à tort ou à raison, résolus ou prêts à l'être quand nous nous sommes placés intuitivement dans le courant même de la continuité.

Telles ne sont pas d'ailleurs l'intention ni la méthode de M. Mcntré. Dans sa thèse complémentaire intitulée Espèces et Variétés d'intelligence, lui-même nous prévient de ses habitudes d'esprit : « J'ai toujours été en méfiance vis-à-vis des modernes philosophes du sentiment et de la vie. Je ne puis croire qu'ils soient- convaincus. C'est là un préjugé contre lequel je dois lut- ter, je le sens bien ; il y en a tant qui les admirent, et de bonne foi, que je dois me tromper ! Mais je me reconnais incapable de les suivre et même de les comprendre ; leurs arguments n'ont pas la netteté décisive qui est l'atmosphère vitale de mon intelligence. A leur aspect, mon esprit se change en place forte qui lève les ponts-levis et se prépare au combat. » Et plus loin il reprend plus longuement cette analyse de sa forme intellectuelle. Il eût été'intéressant que dans sa grande thèse M. Mentré don- nât un pendant à cette mise au point personnelle et qu'il recher- chât si ce tour d'esprit qui est le sien, aujourd'hui de plus en plus rare, n'appartient pas à certaine génération philosophique, celle qui s'est développée sous l'influence de Renouvier et qui a trouvé une sorte de point de perfection dans la thèse d'Hamelin (à laquelle, personnellement, j'appliquerais presque tous les traits que M. Mentré, dans les lignes que j'ai citées, dirige contre la philosophie bergsonienne). Cependant il appartiendrait à une variété de cette génération un peu particulière, ayant pris plutôt son appui sur la pensée de Tarde. Comme Tarde il procède de Cournot, sur qui il a écrit un important ouvrage. Sachons lui gré d'avoir posé en excellents termes le problème des générations et d'y avoir réfléchi avec une rare conscience : d'un bout à l'autre son livre donne une impression de probité, de prudence et d'intelligence. Mais je crois que sa thèse n'est qu'une pré-

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