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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 331

les voies qu'il a choisies, mais cette génération réussit littérai- rement lorsqu'elle dérive dans la littérature les énergies du foyer intense oii s'était alimentée son enfance : ce sont les premières pages de la Confession d'un enfant du siècle qui font entrer l'idée de génération dans le bagage courant et les lieux communs de la littérature. Depuis Sainte-Beuve, la critique l'a saisie et ne l'a pas lâchée. Nous avons aujourd'hui l'habitude de distinguer dans notre passé immédiat la génération romantique, la généra- tion réaliste, la génération symboliste, et c'est une des besognes principales de la critique que de chercher les traits communs à la génération qui monte, de préciser plus minutieusement, dans une chronique rétrospective, les traits de k génération qui s'en va.

Une génération sociale est créée par l'accumulation et le mouvement de millions de petits faits, de ces millions d'acci- dents que sont les millions de générations familiales, et le drame intérieur de toute génération familiale se ramène à un élément assez simple, qui est la divergence nécessaire entre les leçons tirées de l'expérience d'autrui ou de l'expérience sociale et les leçons tirées de l'expérience individuelle, vécue. Aucune vie humaine ne comporte une expérience qui puisse se substituer entièrement, pour instruire et conduire une autre vie, à l'expé- rience propre de celle-ci, et comme les parents et les maîtres, les Etats et les Eglises, les professeurs et les écrivains s'efforcent d'imposer par tous les moyens le plus possible de l'expérience , qu'ils ont acquise et qui est en partie inopérante et morte, une démarche naturelle à la vie qui croît et à l'adolescence qui monte consiste à rejeter cette expérience morte. « La leçon des faits, dit M. Mentré, qui contredit l'héritage de leurs parents et de leurs maîtres, amène les adolescents à préciser leurs amours et leurs haines, à réviser la table traditionnelle des valeurs, à établir une hiérarchie des fins et des types d'huma- nité qui inspirera désormais leur conduite. » De sorte que si la vie sociale consiste d'une part en évolution progressive et en changements insensibles, la succession des générations fami- liales implique d'autre part des mutations brusques et des ren- versements violents. « Les petits-fils, selon la chair et selon l'esprit, des hommes d'action, renient souvent leur héritage. Sainte-Beuve a été frappé par ce contraste en étudiant les ascen-

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