Page:NRF 16.djvu/540

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

534 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

les guerres par ces diffiailtés de chancellerie, qui ne man- quent jamais. Il faut considérer cet animal si dangereux pour lui-même, et qui choisit communément un malheur certain plutôt que d'avoir à le craindre longtemps. Mais il est remarquable comme ces mouvements humains échap- pent au moraliste, toujours dominé par l'idée puérile d'une petite machine à calculer. Les sentiments, cependant, déci- dent de tout, et au premier rang l'impatience, qui entre dans toutes nos affections, d'amour, de haine, d'espoir ou de crainte, sans en excepter une seule.

Voici une scène que j'ai vue une fois, et qui fut sans doute ordinaire, en cette guerre où, comme dans toutes, les opinions qu'on ne dit pas furent le moteur principal. Plu- sieurs officiers d'artillerie assemblés, parmi lesquels un qui est le plus jeune. On lit une lettre officielle qui demande "des volontaires pour l'aviation. Tous les regards vont au jeune, qui s'offire comme s'il n'attendait que l'occasion. C'est choisir la mort. Souvent on a demandé ainsi des volontaires, et toujours des mains se lèvent, malgré la crainte, mais je dirais plutôt : à cause de la crainte.

Descartes, moraliste trop peu lu, disait que l'irrésolution est le plus grand des maux humains. Toutes les souffrances des passions d'apparence impalpable, viennent sans doute de là ; mais on n'y fait point attention. L'homme d'esprit est continuellement occupé à justifier ses propres actes selon les raisonnements des sots. Quand l'idée vient à l'esprit d'une décision à prendre, redoutable et redoutée, les raisons aussitôt répondent aux raisons, et l'imagination travaille dans le corps, en mouvements contrariés qui font un beau tumulte ; cet état d'effervescence enchaînée est proprement la souffrance morale. Un mal bien certain nous délivre aussitôt, en proposant des actions réelles ; ou, pour dire autrement, le fait accompli a cela de bon qu'il est un appui solide ; on en peut partir ; au lien que les décisions intérieures ont cela de remarquable qu'elles échappent, dès que l'on compte sur elles. De là un besoin de s'engager

�� �