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SI LE GRAIN NE MEURT... 55

on inventait, poursuivi, mainte acrobatie... Mais si pas- sionnante que fût la poursuite, peut-être ie contact avec les biens de la terre, les plongeons dans l'épaisseur des récoltes, et les bains d'odeurs variées, faisaient-ils le plus vrai du plaisir. O parfum des luzernes séchées, acres sen- teurs de la bauge aux pourceaux, de l'écurie ou de l'étable ! Effluves capiteux du pressoir, et là, plus loin, entre les tonnes, ces courants d'air glacé où se mêle aux relents des futailles, une petite pointe de moisi. Oui ! j'ai connu plus tard l'enivrante vapeur des vendanges, mais pareil à la Sulamite qui demandait qu'on la soutînt avec des pommes, c'est l'éther exquis de celles-ci que je respire de préférence à la douceur obtuse du moût. Lionel et moi devant l'énorme tas de blé d'or qui s'effondrait en pentes molles sur le plancher net du grenier, nous mettions bas nos vestes, puis, les manches haut relevées, nous enfon- cions nos bras jusqu'à l'épaule et sentions entre nos doigts ouverts glisser les menus grains frais.

Nous convînmes un jour de nous aménager, chacun sépa- rément et secrètement, une sorte de résidence particulière où chacun inviterait les trois autres qui apporteraient le goûter. Le sort me désigna pour commencer. J'avisai pour mon installation un bloc calcaire énorme, blanc, lisse et de fort bel aspect, mais perdu dans un fouillis d'orties, que je ne pus traverser que par un bond énorme, en m'aidant d'une perche et prenant un for- midable élan. Je baptisai le « Pourquoi pas » mon beau domaine. Puis m'assis sur le bloc comme sur un trône et j'attendis mes invités. Ils s'amenèrent enfin, mais quand ils virent le rempart d'orties qui me séparait d'eux, ils poussèrent les hauts cris. Je leur tendis la perche qui m'avait servi, afin qu'ils sautassent à leur tour ; mais ils ne s'en furent pas plus tôt saisis en riant, qu'ils s'en- fuirent à toutes jambes, emportant et perche et goûter, m'abandonnant dans ce diable de retiro d'où, sans élan, j'eus le plus grand mal à sortir.

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