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624 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la vie française restaii sous le coup d'une telle menace que la liberté de cœur et d'esprit nous a manqué, même à nous qui savions le prix de cette belle intelligence, pour mesurer l'éten- due de notre perte. Il a fallu ces quelques représentations de La Paix pour nous faire ajouter un nouveau nom à la liste des morts dont nous ne pourrons nous consoler : « tombée au champ d'honneur », pense-t-on malgré soi, tant il y avait de vaillance dans cette âme extraordinaire. Par le don littéraire dans ce qu'il a d'intuitif et de proprement féminin, Marie Le- néru ne pouvait prétendre au premier rang parmi celles qui écrivent ; mais elle les surpassait toutes par l'intelligence, si on laisse à ce mot sa force entière, si on en bannit ce qu'il peut avoir d'étroit et de pédant. Peu d'esprits, même virils, savaient comme elle conserver aux idées tout leur contenu passionnel et les mettre en action avec une si magnifique équité. Qu'elle avait de tranquille audace dans l'attaque des problèmes, qu'elle était loyale envers la partie adverse et qu'elle lui laissait beau jeu ! Les malentendus suscités par Le Redoutable lui apprirent le danger que comporte une impartialité si haute : mais quelque douloureux qu'il lui fût de se voir dénoncée comme l'apologiste de la trahison, elle ne fut ébranlée ni dans son parti pris de justice ni dans sa conviction que c'est la faute de l'auteur si un problème, tout délicat qu'il soit, n'est pas intelligible à l'auditoire d'un grand théâtre, « Il eût fallu, écrivait-elle alors, un peu plus de patience et des trémas sur les i ; il est décidé- •ment moins dangereux d'être long que d'être court ; le public n'a pas mes satiétés... »

Toutes les qualités, on voudrait dire toutes les vertus de Marie Lenéru, se retrouvent dans La Paix. Conçoit-on bien ce qu'il y avait de courage, en pleine guerre, non pas à faire, comme tant d'autres, cet acte de foi dans la victoire, mais à se repré- senter avec cette lucidité prophétique ce que seraient les dé- boires de la paix, les lâchetés de l'oubli, le recommencement des vieilles erreurs. On sent une âme qui, ne pouvant combattre autrement, a voulu se surpasser par l'héroïsme de la sincérité. Il faut croire que le public, ne pouvant accrocher à ces hauts plaidoyers pas plus son militarisme que son fanatisme inter- national, s'est trouvé gêné, mal à l'aise, car la pièce a bien vite disparu dans l'indifférence générale. Pour ceux qui l'ont bien

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