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autant d'importance qu'au Voyage lui-même. Ce n'est pas que pour ma part je souscrive d'une façon absolue au jugement que j'ai jadis entendu émettre par M. Anatole France, à savoir que c'était ce que Baudelaire avait écrit de plus beau. Il y en a de sublimes, mais d'autres à côté de cela qui sont rendues irritantes par des vers tels que :

Laisse du vieux Platon se froncer l'œil austère.

André Chénier a dit qu'après trois mille ans Homère était encore jeune. Mais combien plus jeune encore Platon. Quel vers d'élève ignorant — et d'autant plus surprenant que Baudelaire avait une tournure d'esprit philosophique, distinguait volontiers la forme de la matière qui la remplit.

(Alors, ô ma beauté, dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés.)

Ou

Réponds, cadavre impur...
Ton époux court le monde et ta forme immortelle...)


Et malheureusement à peine a-ton eu le temps de noyer sa rancœur dans les vers suivants, les plus beaux qu'on ait jamais écrits, la forme poétique adoptée par Baudelaire ramènera au bout de cinq vers « Laisse du vieux Platon se froncer l'œil austère »). Cette donne les plus beaux effets dans le Balcon :


Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon


vers auquel je préfère d'ailleurs dans les Bijoux :


Et la lampe s' étant résignée à mourir
Comme le foyer seul illuminait la chambre
Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir
Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre.


mais dans les pièces condamnées elle est fatigante et inutile. Quand on a dit au premier vers