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756 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'action de la Petite-Russie à Pétersbourg. Gogol se trouvait ainsi beaucoup plus à l'aise pour donner libre cours à ses instincts satiriques et faire défiler sa série de grotesques, dont l'apparition aurait été peu naturelle dans quelque lointain domaine de l'Ukraine. De plus, les types si caractéristiques de Kotchkariov et de Podkoliessine sont absents de la première version. L'auteur donna, en 1835, de sa pièce sous sa forme nouvelle, dans le cercle de Pogodine, une lecture qui fit sensation. « Gogol, écrit Serge Aksakov, lut ou pour mieux dire, joua sa pièce avec tant de maîtrise que bien des gens, au courant de ces sortes de choses, disent, depuis ce moment, que sur la scène, malgré le jeu excellent des acteurs, cette pièce n'est pas si amusante que dans la bouche même de l'auteur. Les auditeurs riaient à tel point que certains faillirent se trouver mal. Mais, hélas ! la comédie ne fut pas comprise. La plupart disaient que ce n'était qu'une farce invraisemblable, mais que Gogol lisait d'une façon bien amusante. » Il est probable que cette rédaction poussait les choses au comique et l'auteur s'efforça, dans la suite, d'éviter de tomber dans la farce.

Malgré les efforts de l'écrivain, le même mot de farce revint sous la plume des critiques, après la première représentation de la pièce en 1842, qui fut un échec très net. On reprocha à Gogol ses mots grossiers, l'invraisemblance de ses tchinovniks, le peu de distinction, la banalité, en un mot le réalisme des personnages. On constata l'absence d'intrigue, le décousu des scènes. Un journaliste parle de « caricatures difformes, du genre des ombres chinoises ». La comédie fut représentée également à Moscou, sans que Chtchepkine, qui interpréta Kotchkariov, en recueillît beaucoup de lauriers.

En dépit de la froideur avec laquelle fut accueilli Hyménée ! à ses débuts, il resta au répertoire. L'acteur Davydov sut même s'y tailler un succès dans le personnage de Podkoliessine. La dernière représentation mémorable qui en fut donnée fut celle du jubilé de Gogol, au Théâtre Alexandre, au mois de mars de 1909.

LOUIS JOUSSERANDOT