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74 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qu'il l'eût vue entrer : 11 faut aimer les hommes plus que l'illu- sion et plus que la vérité. » C'est une parole de bonne intention, mais parfaitement vague et dont on peut tirer les conclusions con- traires à celles de Qérambault (cela dans la mesure où Cléram- boult conclut autrement que par un mouvement spontané de son cœur). On peut la tourner en une profession de foi nationaliste. Et si elle reste après tout si vague, c'est peut-être que le terme général et la profession verbale d'amour des hommes méritent d'être aussi discrédités que le mot de philanthropie. La guerre elle-même fait une part à cet amour des hommes, plus fort que l'illusion et plus fort que la vérité, et qui constitue un ordre supérieur à l'ordre national. Elle laisse au non-mobilisé la faculté de se mettre à son service, et celui pour qui l'homme, et non la nation, mérite seul amour et pitié n'a qu'à entrer dans le spirituel ou le temporel des diverses Croix-Rouge. 11 aura le devoir et le droit d'y aimer et d'y servir les hommes au-dessus de toutes les patries, au-dessus de toutes les mêlées, et il y sera honoré. Je crois bien que M. Rolland a rendu pendant laguerre des services de ce genre. Pourquoi Clérambault ne sert-il pas, de cette façon, l'humanité en silence comme d'autres sei"vent en silence leur patrie ?

C'est que Clérambault est un homme de lettres, un sergent dans cette armée de la plume qui se créerait au besoin un Capi- tole pour le sauver, et que la littérature lui paraît la seule façon possible de s'employer en temps de guerre comme en temps de paix. Or il est certain que la littérature s'est trouvée, pendant la guerre, fort disqualifiée, et de plusieurs côtés, et pour plusieurs raisons, et qu'une des raisons de son infériorité provient delà position fausse où elle était placée. On était publiciste non pour une raison efficiente, mais pour une cause déficiente, et comme inapte à tout ser\àce sérieux. Le noir sur le blanc du troupeau à plumes prenait un aspect comique, et le personnage de M. Rolland participe de ce comique. Et le comique consiste généralement dans une situation sans issue ; Molière le savait bien, qui laissait ses pièces sans dénouement ou en prenait un tout fait. M. Rolland a emprunté à la tragédie (et aussi à une réalité, la destinée de Jaurès) le dénouement de son Clérambault, mais il ne parvient pas à soustraire son naïf héros à une atmos- phère comique, celle où se déroulait, à côté de la tragédie, la

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