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PRÉFACE A « ARMANCE » 135

votre se-xe, dit-il à Sophie, son intacte maîtresse, ne peut comprendre la grossièreté du nôtre, ni combien les désirs du corps ont peu de rapports avec les sentiments du cœur M). II n'y a plus seulement ici distinction, mais disso- ciation, divergence. Tout le roman de Fielding semble la mise en action de ce naïf divorce ; il s'achève au moment de la réconciUation dans le mariage, de l'amour pur et du désir charnel.

Victor Hugo lui-même, pourtant si médiocre psycho- logue, ne dit-il pas également que Marins (dans les Misé- rables^ irait plus volontiers chez les filles qu'il ne soulè- verait seulement du regard le bas de la jupe de Cosette ? Car, écrit exquisement Louise Labé, dans son débat de Folie et d'Amaur (Discours III) « la lubricité et ardeur de reins n'a rien de commun, ou que bien peu, avec Amour ». C'est donc là ce qui fait que l'impuissant est capable de l'amour le plus fervent et le plus tendre ; plus fervent même que celui des amants ordinaires, précisément parce que cet amour est contrarié dans son essence même, et plus constant aussi parce qu'aucun échappement ne lui est accordé par quoi le retombement soit à craindre — car, si la satisfaction du désir peut parfois aiguiser l'amour, plus souvent elle l'exténue — et parce qu'aussi bien son amour est de ceux sur qui le temps n'a pas de prise.

Cette dissociation, Stendhal l'a connue par lui-même. Sa carrière amoureuse déjà longue (car il a quarante- quatre ans lorsqu'il écrit Armance^ ne nous présente que de rares exemples de fusion des sens et de l'âme. Le plus souvent, il se montre, ou sentimental, ou cynique. Lors- que, dans Henri Brulard, se remémorant ses maîtresses, nous le voyons inscrire sur le sable les initiales de treize noms, (et, par une amoureuse inadvertance, il trace par deux fois celles d'Angela Pietragrua) c'est pour l'entendre ensuite avouer : « La plupart de ces êtres charmants ne

I . Tovi Jones, livre XVIIIe, chap. xii.

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