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l68 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

troubla plus que ne faisaient ces taches brillantes, les va- rechs collés par l'eau vive aux membres polis de Télémaque. Elle se sentit femme et feignit la colère.

« Etrangers^ cria-t-elle, passez votre chemin si vous tenez à la vie. Les hommes sont bannis de mon do- maine. »

La rougeur de son front démentait ses paroles. Le jeune voyageur s'inclina avec la grâce d'un souvenir :

« Madame, dit-il_, vous que j'hésite à prendre pour une divinité tant vous me paraissez belle, sauriez-vous regarder sans pitié un jeune homme qui se cherche à travers le monde, puisqu'il poursuit sa propre image, un père sans cesse emporté loin de moi par cette même furie des tem- pêtes et des idées qui me met tout nu à vos pieds ?

— Ce père, quel est-il ?

— On l'appelle Ulysse, et que lui sert que ce nom soit fameux dans toute la Grèce et dans toute l'Asie ? Sa patrie lui est interdite, les flots ne lui épargneront pas une erreur. La sagesse de ce héros, loin de lui éviter les écueils, l'en- traîne toujours à de nouveaux dangers. J'ai quitté sans espoir ma mère Pénélope ; je cours l'Univers pour lui réclamer Ulysse, abîmé peut-être dans ses mers, et parfois je trouve dans les esprits la trace de celui qui m'échappe et duquel, déesse, si le bizarre jeu des passions l'a jamais jeté dans votre île, vous ne cacherez pas le sort à son fils Télémaque. »

Calypso, mieux attentive aux mouvements de son cœur qu'à ceux de ces discours, n'osait rompre par la parole ou le mouvement le charme qui retenait ses regards sur cette forme trop humaine. Le vertige qui brouilla ses yeux l'engagea par la crainte de soi-même à casser tout à coup le silence.

« Télémaque, votre père... Mais je vous dirai son his- toire dans ma demeure où vous trouverez un repos plus doux et plus frais que le vent frisé des plumes agitées par les servantes, et, si vous savez jouir de mes soins

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