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228 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

replié sur lui-même, ne pouvait s'extérioriser qu'à l'aide d'œuvres lentes à mûrir ; celui de Renoir, moins contenu, explosait à chaque instant, se répandait à travers chacun de ses gestes, et aboutissait à un acte, que soulignait tout naturellement une exclamation. Nulle aventure quotidienne ne peut expliquer Cézanne, type du méditatif. L'anecdote, au contraire, paraît être le meilleur moyen d'éclairer la personnalité de Renoir, peintre expansif. Certaines des anecdotes rapportées par M. Vollard sont fort savoureuses, et les propos du peintre sont transcrits,, pour le plaisir du lecteur, avec le minimurîi d'artifice littéraire. Renoir, qui sut conserver jusqu'à sa mort la fraîcheur d'un cœur enfantin, et un amour naïf pour les choses terrestres, constitue par son exemple, la contre-partie nécessaire à l'esprit tourmenté et précocement austère des jeunes réformateurs de la peinture. La plupart de ceux-ci choisissent chichement, dans la nature, toujours les mêmes objets ; ils peignent sans cesse le même tableau et ferment les yeux aux sollicitations de l'im- mense spectacle du monde. Ils s'ennuient et ils ennuient. Renoir s'amuse, sa méditation est comme noyée dans les vapeurs d'une aurore éternelle : il nous fait partager la joie candide de ses découvertes de chaque jour. Si Cézanne nous montre la voie du salut par la discipline, Renoir ajoute aux injonctions du Maître d'Aix quelques conseils supplémentaires et préconise une hygiène morale dont nous avons tous besoin.

Réaliste et peintre direct, Renoir, soumis à quelques règles simples, hait cet esprit littérateur qui pousse trop de peintres à demander à leur art des sensations qui lui sont étrangères. Si ses aspirations sont très hautes, il parle le plus souvent « métier ». Le récit du repas que prit Rodin aux Collettes ridiculise le sculpteur et suscite un contraste piquant entre le faux grand homme et le vrai en soulignant à la fois la prétention bouffonne du praticien qui se croit un penseur et la bonhomie du peintre qui ne cesse de penser en praticien. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus, et l'on pourrait établir une utile distinction entre l'intelligence spéculative et l'intelligence technique. Ingres, Renoir, Rousseau (le douanier) n'étaient à la ville que des intelligences banales —le dernier y faisait même figure d'imbé- cile : tous trois, devant le chevalet, devenaient d'une intelligence lumineuse, que n'atteint que rarement Delacroix, malgré son vaste

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