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248 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

tion d'exception. Il n'en comprend que mieux d'ailleurs quel Eden avait été son enfance, et sa touchante tendresse pour ses parents s'en augmente. « Le ser\nce militaire continue de m'en- thousiasmer, presque trop » écrit-il, à un moment difficile, « puissé-je le supporter physiquement. » D'exceptionnelles qua- lités militaires qu'on lui découvre (coup d'œil stratégique, sens d'orientation, jugement, autorité) lui valent un avancement rapide et des responsabilités. La mort de sa mère le plonge dans un abîme de chagrin — il voit tomber autour de lui les meil- leurs de ses camarades, peu à peu, l'avenir de son pays lui paraît mis en question, les agissements du gouvernement, l'orientation des jeunes esprits de sa génération l'inquiètent', une blessure particulièrement douloureuse et une névrose du cœur abattent pour un temps sa vigueur physique, mais rien n'a raison de sa force d'âme, de sa sérénité, pas même les tour- ments quotidiens de la vie des tranchées ni les horreurs de tant de massacres.

Chaque fois que dans ses lettres il lui arrive de prendre un ton plus exalté ou plus grave en parlant de lui-même, il s'ex- cuse de glisser dans le pathétique. Il est au-dessus des contin- gences, — et cela sans affectation, tout comme les jeunes soldats français, il a la pudeur de ses souffrances et de son héroïsme. On ne voit pas ce qui pourrait le distraire de ses préoccupations d'ordre spirituel. Il y apporte cette amplitude d'horizon, et l'abondante documentation qui caractérise l'intellectualité de son pays, mais son esprit est constamment dominé par l'idée de la forme, et sans cesse occupé à élever des barrages critiques dans cet informe illimité où se noie trop souvent la pensée alle- mande. C'est en cela qu'il est si plein de promesses, si excep- tionnel parmi ses compatriotes.

Tout effervescent, il s'efforce au calme et vise à la mesure. Il note dans son journal : « Si mon esprit n'est pas encore parvenu à se débarrasser entièrement de cette manie plébéienne qui con- siste à se jeter avec une beaucoup trop grande avidité sur trop d'objets divers, je suis cependant bien en train de la refouler dans des limites convenables. » Et à ses parents : « L'ardent

I . Combien pathétique cette lettre à ses parents : « Je suis comme celui de qui on dilapiderait le patrimoine, tandis qu'il se bat au loin ».

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