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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

maître et l’élève, d’ignorer et de connaître, d’errer et de corriger. Il vous arrivera sans doute d’appeler vos « maîtres » des poètes plus âgés que vous, et d’autres qui sont morts. Mais vous n’attachez à ce mot qu’une signification sentimentale ou de parade. Vous voulez dire que vous admirez leurs livres, que vous êtes touché par la nature de leur inspiration. Peut-être l’un d’eux vous a-t-il serré la main à une terrasse de café, a-t-il raconté devant vous deux ou trois anecdotes. Cela signifie encore — bien que votre impatient génie n’aime pas à considérer ce point — que vous êtes entraîné à imiter leur manière, à reproduire du dehors les effets les plus voyants qu’ils obtiennent. Vous êtes devant leurs œuvres à peu près dans la position d’un émailleur d’aujourd’hui devant un vieil émail d’extrême-orient. Vous contemplez et vous enviez un résultat dont les moyens se dérobent à vous. Vous êtes donc condamné ou à n’en pas tenir compte, pour votre propre travail, ou bien à imiter, à simuler. Ce qui vous est refusé, c’est la seule relation honnête, normale entre l’œuvre passée et l’œuvre présente, c’est la tradition technique, c’est le bienfait d’un homme plus expérimenté que vous qui vous installe à l’intérieur même de son expérience.


L’on me dira que s’il est vrai que la peinture, la sculpture, la musique s’enseignent encore, tandis que la poésie ne s’enseigne pas, la différence est à l’honneur de la poésie et tient à ce qu’elle précède les autres arts dans le bon chemin. La poésie est émancipée. Les autres arts ont à lutter contre une scolastique, fort ébranlée d’ailleurs et défaillante. Les gens de goût ne sont-ils pas d’accord pour proclamer la déchéance de tous les Instituts, Écoles des Beaux-Arts, Conservatoires et autres officines d’académisme ? Les plus beaux produits de l’art moderne n’ont-ils pas pour origine la révolte de l’instinct créateur contre