À vrai dire, si cette idée est assez mal accueillie chez les artistes contemporains, c’est qu’elle gêne beaucoup d’entre eux. Pour les poètes, particulièrement, ceux qui s’en tiennent à la tradition classique, aux règles de Malherbe, savent ce qu’ils font, au moins en gros. Mais les autres ? Les imagine-t-on mis en demeure d’exposer et de justifier leur technique par le menu, de l’enseigner ? Ah ! il est facile de laisser entendre, en quelques pages hautaines et sans condescendre à de vulgaires précisions, qu’on a ses secrets aussi, sa technique laborieusement forgée, qu’on obéit à des règles très savantes et très mystérieuses et que le vers « moderne », c’est encore plus « calé » que le vers classique. Mais le moindre point sur l’i ferait bien mieux notre affaire. Je conçois qu’un poète ait quelque pudeur à nous entretenir trop intimement de son inspiration, et de la manière dont jouent en lui les idées, les émotions, les songes, ou dont se compose la nuance personnelle de son style. Mais la versification est une chose qui ne réclame point tant de mystère et qui souffre très bien qu’on la démontre au tableau noir. Je crains hélas ! que l’exposé ne fût vite à son terme, et que la plupart des versifications « révolutionnaires », qui depuis bientôt quarante ans défilent devant l’amateur de poésie étonné, ne se ramenassent, une fois dissipées les nuées dont elles s’entourent, à une seule petite règle, celle de Thélème : « Fais ce que vouldras. »
Il est évident qu’un art ne peut pas se contenter indéfiniment d’une technique nulle, ou d’une technique virtuelle. Si la versification moderne ne constitue rien d’autre, sa cause est perdue et l’on reviendra aux règles de Malherbe. Mais s’il existe, au sens plein du mot, une technique moderne du vers, aussi complète, aussi cohérente et au moins aussi riche que le système qu’elle prétend remplacer, il est temps qu’elle se formule, mieux encore, qu’elle