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artifice de plus, une habile réclame, un ingénieux moyen de faire affluer journalistes et gens du monde. Quel libraire ira faire venir de Carcassonne les plaquettes que l’auteur du Buisson ardent y fait imprimer ? Quels amateurs songent à en guetter la publication ?

Le 25 juin dernier, la Revue Critique faisait connaître une admirable Ode d’Alibert, poème ample et brûlant, qui respire la passion la plus déchirante, cri de reconnaissance envers un bonheur qu’on n’espérait plus, auquel on goûte enfin, mais dont on sait la possession fragile. Je doute que l’on trouve, dans aucun poème contemporain, un mouvement comparable à celui qui soulève ces strophes souples et altières. Les octosyllabes de Valéry ont une perfection plus savante, plus adamantine, mais ils ne tremblent pas d’un sanglot si humain.

Les trois pièces que réunit la Complainte du Cyprès blessé sont d’une coulée plus calme. La résignation de l’arbre vieillissant, qui se sent mourir, s’oppose à l’inquiétude de l’homme errant, toujours hanté par le désir du retour, toujours travaillé par l’obsession de nouveaux départs :

L’éternelle aventure et rameur du foyer.

L’arbre blessé jette un tendre appel vers le libre enfant, et le voyageur, fatigué de son inconstance, invoque l’image du Cyprès austère et fidèle. Dans le Retour au Jardin natal, un dialogue s’établit entre eux, mélancolique et courageux, chargé de mâle sagesse. On pourrait reprocher à ces alexandrins une tendance à laisser les phrasses se prolonger avec une luxuriance inutile, à repartir en rameaux adventices, alors qu’on croyait la période achevée. On songe parfois à ces jets de ronciers qui reprennent racine si leur extrémité touche le sol et qui, de là, lancent de nouvelles pousses : gracieux arceaux, mais où les pieds du promeneur s’embarrassent. Que de pages cependant où tout est mouvement et netteté ! On trouverait des passages qui ont plus de force, mais quelle tristesse attendrie dans ces vers par lesquels le Cyprès, trop longtemps déçu dans son espoir, accueille l’enfant prodigue :

Comme l’absence est courte au matin de la vie !
L’âme à qui la moitié de son âme est ravie,
Qu’elle est riche pourtant d’avenir et d’amour,