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LES INTERMITTENCES DU CŒUR 397

te la laisserait voir. — Tu sais bien pourtant que je vivrai toujours près d'elle, cerfs, cerfs, Francis Jammes, fourchette » . Mais déjà j'avais retraversé le fleuve aux ténébreux méan- dres, j'étais remonté à la surface où s'ouvre le monde des vivants, aussi si je répétais encore : « Francis Jammes, cerfs, cerfs, » la suite de ces mots ne m'offrait plus le sens limpide et la logique qu'ils exprimaient si naturellement pour moi il y a un instant encore et que je ne pouvais plus me rappeler. Je ne comprenais plus même pourquoi le mot Aiasque m'avait dit tout à l'heure mon père avait immédia- tement signifié : « Prends garde d'avoir froid » sans aucun doute possible. J'avais oublié de fermer les volets et probable- ment le grand jour m'avait éveillé. Mais je ne pus suppor- ter d'avoir sous les yeux ces flots de la mer que ma grand'- mère pouvait autrefois contempler pendant des heures ; l'image nouvelle de leur beauté, indifférente, se complétait aussitôt par l'idée qu'elle ne les voyait pas ; j'aurais voulu boucher mes oreilles à leur bruit, car maintenant la pléni- tude lumineuse de la plage creusait un vide dans mon cœur, tout semblait me dire comme ces allées et ces pelou- ses d'un jardin public où je l'avais autrefois perdue, quand j'étais tout enfant : « Nous ne l'avons pas vue » et sous l'immense rotondité du ciel pâle et divin je me sentais oppressé comme sous une immense cloche bleuâtre fer- mant un horizon où ma grand'mère n'était pas. Pour ne plus rien voir, je me tournai du côté du mur, mais hélas ! ce qui était contre moi c'était cette cloison qui servait jadis entre nous deux de messager matinal, cette cloison qui aussi docile qu'un violon à rendre toutes les nuances d'un sentiment, disait si exactement à ma grand'mère ma crainte à la fois de la réveiller, et si elle était éveillée déjà, de n'être pas entendu d'elle et qu'elle n'osât bouger, puis aussitôt comme la réplique d'un second instrument, m'an- nonçant sa venue et m'invitant au calme. Je n'osais pas approcher de cette cloison, plus que d'un piano où ma grand'mère aurait joué et qui vibrerait encore de son tou-

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